15 novembre 16
Mes amis,
La dernière newsletter que je vous ai envoyé date d’août, et j’ai vécu tant d’expériences et vu de si nombreux nouveaux endroits, que j’ai perdu un peu le fil de mon récit.
J’espère que tout va bien en France, que le mois de novembre ne vous engourdit pas trop dans le froid, que décembre qui approche vous met en joie, enfin que l’année 2016 se termine gaiement. Je vous propose un résumé rapide de ces 3 derniers mois et ensuite je vous emmène avec moi dans le Centre-Ouest du Brésil : à Brasilia et à Chapada dos Veadeiros. Suivez-moi !
1) Le condensé de 3 mois
Je crois qu’entre août et octobre je n’ai passé aucun week-end à São, et j’ai croulé sous le travail et le sorties, comme si mon groupe et moi voulions profiter au maximum des mois qui nous restent avant la fin du contrat – je rentre déjà en avril ! On a condensé les bons moments, on est sortis à l’excès, et on a voyagé à faire ployer nos sacs et on a été pris dans la spirale de la fatigue joyeuse.
Ceux qui suivent mon blog ont pu lire les notes qui ont relaté les aventures du groupe de copains qui s’est créé ici, et que nous avons surnommé « São Paulo no Chão », parce que lorsque les Brésiliens dansent le funk (rap-pop des favélas, hyper populaire en soirée) jusqu’au bout de la nuit, ils lancent des concours de descente où garçons et filles touchent le sol avec leurs derrières, d’une façon étrangement assez sensuelle. Pour les encourager, les spectateurs fiévreux scandent « Até o chão ! » ou « Desce ! Desce ! », c’est-à-dire « Va jusqu’au sol ! Va jusqu’au sol ! ».
On est donc un groupe d’une vingtaine de VIE, avec un noyau dur de 6 amis proches et des extensions possibles d’amis d’amis, de Brésiliens qui se greffent (à vrai dire surtout de Brésiliennes énamourées, peu lucides sur les qualités de gentlemen des Français), à festoyer et voyager ensemble.
En août, je me suis rendue deux fois à Rio, d’abord pour assister aux JO et j’ai eu la chance de voir les Françaises à la finale de handball décrocher l’argent, puis j’ai assisté à un combat dément de taekwondo où le Brésil a arraché la victoire d’une médaille de bronze, peu méritée mais les Brésiliens sont les champions hors normes de la « torcida », des supporters en feu. J’ai d’ailleurs entendu qu’après les JO au Brésil, le Comité Olympique pensait éditer un code de bonne conduite à destination des supporters, tellement les Brésiliens s’étaient comportés n’importe comment, hurlant, scandant, braillant, déconcentrant et déstabilisant les athlètes sérieux. Par exemple, pendant l’escrime, des Brésiliens supporters d’équipes de foot locales se sont mis à crier les noms de leur joueurs ou équipes pour encourager le Brésilien en lice, ce qui n’avait aucun rapport avec le tournoi et avait créé un large sentiment d’incompréhension parmi les étrangers présents et les commentateurs.
Cette énergie vitale illimitée des spectateurs, et cette envie de vivre et de lutter pour la victoire, je l’ai savourée aux Jeux Paralympiques, avec surprise et émotion, comme je le raconte sur le blog aussi -un teaser à la Paramount !
En août j’ai fêté mes 27 ans, sur la très jolie plage du littoral paulista de Barra do Sahy où nous avons loué une maison pour retourner en enfance. On s’est déguisés en fées, princesses et super-héros pour sourire et tirer la langue au temps qui passe. Aussi, pour fêter l’été et les corps qui sortent de la torpeur du froid qui s’infiltre et nous glace, nous avons été invités par le fameux groupe étendu d’amis plus ou moins proches dans des maisons de l’Interior de São Paulo, à chaque fois je souris du paradoxe du nom de la région périphérique de Sao Paulo, externe à la ville mais qui s’appelle « Intérieur ».
J’ai aussi couru un quart de marathon avec 3 autres copines, et sous le soleil et la chaleur j’ai tendu mon relais trempé de sueur avec l’énergie du désespoir. Je suis allée visiter une ferme biologique et les techniques agricoles respectueuses de l’éco-système n’ont plus aucun secret pour moi : maintenant ma vie s’est teintée d’un nouveau respect pour les asticots. Et puis j’ai sauté en parachute avec 9 amis, une expérience fabuleusement effrayante, qui remue les tripes, qui fait sourire et hurler en même temps, mais rend heureux. Pour info, même mes copains qui se donnaient des airs assurés au moment de monter dans l’avion m’ont demandé plusieurs fois de vérifier s’ils étaient correctement harnachés (« Tu peux regarder encore une fois si tout est ok ? ») ou s’accrochaient dans un geste de survie aux portes de l’avion malgré les tapes sur les mains de l’instructeur.
Voilà comment je vis et profite, car moins de 5 mois me séparent du pays qui est le mien, que j’attends et ai envie de retrouver, malgré le plaisir que j’ai à vivre et à aimer le Brésil.
2) Brasilia et la Chapada dos Veadeiros
Ça faisait longtemps que je voulais visiter Brasilia, la capitale rêvée et jaillie de terre, créée de toute pièce par les Brésiliens en 1960. Au moins depuis les cours de Terminale où on étudie les BRICS et où l’on place de façon malhabile les points des villes sur un croquis de géographie.
On a profité avec mon ami Ugo (100% friendzone, aucun doute possible, je répète) du jour férié de mardi 15 novembre (proclamation de la République) pour partir 5 jours visiter Brasilia, à une heure d’avion, et la chaîne de montagne Chapada dos Veadeiros, à environ 300 km de la capitale.
Brasilia est immense, démesurée et hors d’échelle. Avec la voiture de location, on s’insère dans les axes de circulation géométriques et étendus, organisés et planifiés. C’est étonnant, j’ai l’impression de vivre dans un plan dessiné par un architecte ambitieux et consciencieux. Les routes sont toutes structurées avec des 4 voies à sens unique, au centre un espace vert, une rue, des bâtiments et de l’autre le pendant opposé de la 4 voies qui va dans l’autre sens. Les ronds-points sont symétriques et les rues sont disposées sous forme de carrés, de rectangles et rosaces. Vu du ciel on distingue la forme de l’avion voulue pour donner à la ville le symbole de la modernité, et même en roulant dans la ville (elle semble inaccessible aux piétons), on se sent pris dans la structure de l’urbanisme futuriste. J’imagine sans y croire comment les paysans du nord du Brésil ont bâti et façonné le béton là où il n’y avait qu’une terre rouge aride ou des marécages malsains et malodorants. D’ailleurs les moustiques et insectes persistants sont restés et ils nous assaillent sans répit.
Malgré cet étrange sentiment de malaise, l’idée même de la ville éblouit, et du béton surgissent des formes gracieuses, harmonieuses dans la géométrie et la régularité. Dans le terrain hostile et sauvage, au centre du territoire, le président Juscelino Kubitschek (que les Brésiliens appellent juste « le président Juscelino ») a fait émerger le cœur des décisions de ce pays-continent, il a concentré à Brasilia les sièges des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et il a projeté avec espoir et audace dans ce projet urbanistique l’apogée de la modernité, « le lendemain » ou « l’aube de son pays ».
On visite le Congrès National créé par Niemeyer avec ses coupoles qui semblent flotter, l’une qui abrite le Sénat et l’autre inversée qui accueille la Chambre des Députés, ouverte vers le ciel pour symboliser son devoir d’écoute des idées et tendances. On raconte aussi en plaisantant que les coupoles désignent une casserole d’où naissent les idées des Députés (coupole inversée) recouverte du couvercle du Sénat! On écoute sagement les explications et on s’émeut avec les Brésiliens dans la chambre des députés (« C’est d’ici qu’on a foutu Dilma dehors! »), et on s’attendrit de les entendre répondre en chœur aux questions d’éducation civique du guide : « Combien a-t-on de députés? » Et les 25 touristes brésiliens de répondre d’une voix « 571! ».
On se rend jusqu’au Palacio da Alvorada (le palais du Lendemain), qu’est la résidence du Président, on visite la céleste Cathédrale Métropolitaine aux milliers de vitraux bleus qui amènent les cieux sur terre, avec des anges qui flottent aux centre d’une façon irréelle, on se rend au Santuario Dom Bosco, du nom du Saint qui eut le rêve d’une ville utopique dont l’ave
nir serait droit et noble. Les vitraux recouvrent toutes les nuances du bleu et l’on se sent comme pris dans le rêve de la création mythique de Brasilia en entrant dans cette atmosphère astrale.
On roule en se perdant dans les quartiers, obéissant de loin au Lonely Planet et se réfugiant dans les musées pour échapper à la pluie battante. A la fin de la journée, on a entendu les noms de Kubitschek, Niemeyer et Arthus Bulcao plus de cent fois, on est capables de réciter des pans entiers du guide et de l’histoire de la ville.
Le dimanche on fuit notre auberge après un petit-déjeuner partagé avec un dingue qui philosophe sur le rétablissement de la peine de mort pour les familles de terroristes et Donald Trump, pour rouler vers la Chapada. C’est le déluge, il pleut des torrents et on zig-zag entre les vagues de boue de la route. Vers 15h le temps s’éclaircit et on peut randonner vers la « rencontre des eaux », la cascade où se croisent et se mêlent deux fleuves tumultueux, gorgés de la pluie torrentielle des dernières heures. Au bout de notre randonnée on s’écroule devant le spectacle du fleuve qui s’écoule en tourbillons et on s’endort à l’ombre. A la sortie du chemin, nous commandons des bières glacées et avons la surprise de passer un moment avec un toucan apprivoisé, sauvé oisillon par le propriétaire au moment d’un feu de forêt et participant depuis à la joie niaise des touristes ébaubis de le voir sauter de bras en bras. Lundi et mardi on randonne sous la pluie, tout en élégance avec nos cirés jaunes et gris, on s’essore régulièrement avant de prendre des photos des paysages néanmoins superbes : cascades jaillissantes des montagnes vertes, la végétation étant autant gorgée d’eau que nous je suppose, pics abrupts de couleurs orange et marron et partout l’immensité de la nature verte et luxuriante.
Notre dernière marche nous amène à la Vale da Lua, ce site hors du commun, asséché après que le fleuve Sao Miguel a couru avec force pendant des millions d’années, creusant des sillons dans la roche. En suivant les formations escarpées de la roche grise et rosée, on trouve des tunnels et des trous fantaisistes, des formes gondolées et des cratères remplis d’eau bleutée. C’est dépaysant et presque surnaturel, on se croirait effectivement sur la Lune. On se promène longuement, enjambant les cratères et chaque touriste tendant son bras au suivant pour l’aider. Quel pays extraordinaire que le Brésil, si riche et débordant de nature!
On prend le chemin du retour vers Brasilia, non sans avoir pris en stop deux artistes hippies, sac à dos bien rempli et vendant de l’artisanat douteux. On est partagés entre la satisfaction du service rendu et l’intense soulagement quand elles descendent à une bifurcation au bout de 40 km : honnêtement elles ne sentaient pas bon.
Je prends le volant pour les 250 km restants, car Ugo a conduit les derniers jours sur les routes sinueuses et boueuses de montagne. C’est une longue ligne droite, qui traverse les des vertes prairies où paissent placidement des vaches maigres (herbe premier prix ?), et les nuages cèdent enfin pour laisser une vue dégagée sur les montagnes verdoyantes qui émergent. Je longe des champs terreux, et des épis de maïs, de blé et de soja pointent parfois pour rompre la monotonie. Ugo dort du côté passager, et je laisse filer les kilomètres en écoutant de la musique brésilienne joyeuse et rythmée. Je suis séduite avec Jorge Ben Lor par les douceurs de son « Pais Tropical » qui est « abençoado por Deus e bonito por natureza » (béni de Dieu et beau par nature). https://www.youtube.com/watch?v=eoca1Jb33Ts et j’écoute les paroles douces et philosophique de la si belle chanson « Deixa acontecer », du Grupo Revelaçao https://www.youtube.com/watch?v=SFdEkqHvCr0, un homme qui demande à son aimée de « Deixa acontecer naturalemente, eu nao quero ver você chorar, » c’est-à-dire de laisser les choses se dérouler naturellement, car [il] ne veut pas la voir pleurer, et je m’emplis de douceur et de musique.
Quand on traverse des petits villages le long de la route, on ralentit pour être assaillis par des vendeurs de fruits et de noix de coco, des enfants qui mendient (on donne des gâteaux), des collectes pour des églises évangéliques (on ne donne rien) !
Et puis c’est terminé, on rend la voiture à Brasilia, et rentre le cœur léger à Sao.
Je vous embrasse tous et attends de vos nouvelles.
Love, Tati