Il y a quelques nuits, j’ai été saisie dans mon sommeil par une voix que je n’ai pas tout de suite reconnue, dont l’intensité a augmenté progressivement jusqu’à ce que je ne puisse plus l’ignorer.
Il y a cette photo de nous où tu n’as que quelques jours, tu pleures dans les bras de ta grand-mère et je vous regarde depuis l’encadrement de la porte, dans l’angle sombre de la photo. C’est la place que j’ai eue au fond, je suis resté dans l’ombre, hors du cadre.
C’est impressionnant comme tu ressembles à la fois à ta mère et à ta grand-mère plus jeunes, c’est comme si je revoyais en toi des traits que je pensais figés dans des souvenirs anciens. Vous avez les mêmes mimiques et le même sourire, mais tu as des fossettes en plus, et tu ris beaucoup plus fort.
Forcément, ça me laisse songeur que tu te sois installée en Israël, et que tu envisages d’y construire le début d’un foyer. C’est une question qui s’est souvent posée à moi, c’était bien plus qu’une simple destination, je me demandais si c’était la terre qui m’était destinée, et que j’ai pourtant contournée. Depuis ma ville natale, entre Stopnica et Lódz, puis entre les routes de Pologne centrale et d’URSS quand j’ai voulu rejoindre les limites soviétiques et l’armée d’Anders, en passant par la France et traversant l’Allemagne, en considérant les Etats Unis, j’ai souvent laissé errer mes pensées vers la Palestine, et j’ai souvent voulu atteindre la terre d’Israël.
Au cours de ma vie, bien que fier d’avoir été naturalisé Français, je suis souvent venu respirer l’air vif et plein de vigueur de cet état tout jeune, il sentait fort et je voulais m’en remplir les poumons. En 1956, la première fois que je suis venu, je voulais me projeter tout entier dans l’énergie vibrante mais c’était si dur, tout était à bâtir, et je n’étais plus seul, j’avais Sara et les enfants que je voulais mettre à l’abri. Je me suis parfois demandé ce qu’aurait été notre vie si nous avions eu l’esprit pionnier, si je m’étais par exemple installé dans un kibboutz et m’étais donné pour le pays. Que serions-nous devenus? A quoi ressembleraient vos vies aujourd’hui? En homme ancré dans le sol, j’ai toujours su que le devoir d’un mench était de travailler de tout son corps pour mettre un toit sur la tête de ses enfants, pour les installer dans la vie. La France m’a paru plus sûre, j’y avais une attache, et ma soeur, malgré nos différends, nous a tendu la main. Je n’avais pas de place pour les idéaux, même si je n’ai jamais cessé d’être sioniste.
Mais tu as déjà entendu ces histoires. D’autres que moi te les ont narrées et elles te sont familières, même si moi je n’ai pas pu de te les raconter a ma façon. Je n’ai pas eu le temps de te connaitre Tatiana, mais je t’ai attendue et espérée. Je voulais rencontrer la fille d’Anna, la fille de ma fille, le dernier fruit de mes racines que j’ai tenu dans mes bras. J’étais aux dernières nuits de la vie, dont toi tu saisissais juste les premières lueurs mais nous nous sommes au moins croisés. Il y a d’ailleurs une autre photo de nous deux, nous sommes couchés face à face sur un grand lit aux draps blancs, tu as 4 ou 5 semaines et moi 72 ans, et nous semblons tous les deux dormir d’un sommeil tranquille et sans rêve.
Au fond, je ne sais pas si j’aurais été un bon grand-père pour toi, car on m’a dit brusque et frontal, quelquefois sans égard pour mes proches. Je les ai aimés comme j’ai pu et je pense avoir fait de mon mieux, même si parfois ce n’est pas suffisant. On a aussi dit de moi que j avais plus d’intelligence que de coeur. Que mes yeux bleus étaient perçants et mon esprit vif et cinglant. J’ai séduit mon entourage par mon agilité et ma vivacité, j’étais sûr de moi et mes witz ne manquaient jamais leur cible. J’ai régné sur les miens, et j’ai imposé à mes enfants de travailler dur sans fuir l’effort. Je crois qu’ils m’ont craint et aimé. Je voulais avant tout qu’ils réussissent et qu’ils aient plus de chance que moi. J’ai réussi, je crois, et j’ai transmis, ça j’en suis sûr.
Avec ta grand-mère, j’ai parfois manqué d’élégance et de coeur, pourtant elle a été une compagne solide et précieuse, et elle a été la chaleur de notre maison et mon alliée dans la vie. Je sais comme elle te manque souvent, et comme son absence semble rendre le monde qui t’entoure aride, parfois, comme si la source d’amour s’était tarie d’un seul coup.
Tu verras comme peu à peu le souvenir s’efface pour laisser place à la tendresse et à la douceur, parce qu’on est parvenu à accepter le manque et que le brouhaha s’est apaisé avec la vie qui continue.
Puis, l’écho s’est fait plus lointain et le silence est revenu.
C’est beau Tati. I miss you. Et tes witz.
Envoyé de mon iPhone
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Bonjour
Je suis tombée sur ton blog et sur cet article en particulier. J’ai eu, je pense, un grand père au sionisme similaire, mais sépharade! Il aurait pu venir à la guerre d’indépendance, mais ma grand mère et ma tante toute bébé l’ont retenu au Maroc. Ils ont fini par tous arriver en Israel, ma tante en 1973 et mes grands parents en 2010! L’olim le plus âgé de son année!
Bravo pour ton blog, tes articles sont trés interessants et l’écriture en est belle.
Bonne continuation
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Merci Hanna !
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