On imagine mal l’ampleur du Carnaval au Brésil, à quel point tout le pays s’embrase pendant que la folie et la fête prennent possession des esprits, et surtout des corps. Je lève le voile sur le Carnaval !
A, l’Anticipation
Les jours qui précèdent Carnaval, les blocos se multiplient. Ce sont des rassemblements organisés dans les rues, autour de musiciens ou de danseurs, et dont les spectateurs suivent les pérégrinations bruyantes en chantant et buvant de l’alcool, escortés par des vendeurs de rue d’un côté et des pickpockets plus ou moins éméchés de l’autre. A mesure que la chaleur de l’été pénètre nos corps et que l’alcool nous imbibe, nous devenons plus souples, plus nonchalants, plus tendus dans l’attente de Carnaval. Au travail, dès la deuxième quinzaine de février alors que Carnaval commence officiellement à la fin du mois, les délais se font plus relâchés « On en parle après Carnaval, ok ? », tandis que les lundis matin post blocos présentent des visages plus ternes et ensommeillés.
Un seul sujet rythme nos conversations « A quel bloco es-tu allé ? Quel sera le suivant ? » (il existe même des bloquinhos infantis pour les enfants !) et « Où passeras-tu Carnaval ? ». Le mardi 27/02 est férié, et nous pouvons choisir quel jour nous serons absents en plus, lundi ou mercredi. Pour moi, ce sera les deux, car je suis pimp, et qu’il me reste des jours à poser.
Surtout, une grande entreprise de préservatif vient joyeusement remettre des échantillons à tous les étages au bureau, les représentants sont habillés légèrement et leurs yeux pétillent d’une lueur lubrique. Je suis très étonnée d’être reconnue par les hôtes préservatifs, qui m’interpellent joyeusement par mon prénom. Apparemment ma photo qui date de la distribution de préservatifs de l’an dernier était très réussie, et elle a été publiée dans leur livret de communication interne. Mon visage est donc associé aux bonnes pratiques de distribution de préservatifs Prudence, et je suis une star dans le secteur du condom brésilien. Mes collègues envient ma gloire à n’en pas douter.
La veille de Carnaval, toute mon entreprise reçoit même une newsletter sur « Comment profiter de Carnaval et rester en bonne santé », avec des conseils de bon sens (boire de l’eau, appliquer de la crème solaire et du répulsif, dormir) mais une priorisation étonnante puisque le premier élément rappelé aux ouailles est évidemment l’utilisation obligatoire du préservatif !
Nous voilà prévenus.
Le vendredi 24 février au soir, on est dans les starting blocks, c’est la date du grand départ vers Rio. Cette année le groupe sera constitué de 15 joyeux fêtards, répartis /entassés en deux appartements. On a le noyau dur traditionnel composé de Juju, Nini, Ugo, Glenn, Olive, Antoine, Krish avec les amoureux brésiliens correspondants : Vitor, Artur, Frania, Bia ; notre Pauli préférée est revenue passer Carnaval avec nous, Jafaar et Quentin se sont joints au groupe aussi.
Les garçons ont décidé de rendre ce carnaval mémorable en achetant des déguisements en groupe, ils sont motivés comme jamais et ils frétillent d’impatience, et dès 10h le samedi matin, c’est avec dévotion qu’est décapsulée la première bière.
D, la Décadence
On s’est déjà beaucoup amusé l’an dernier, mais cette année on est porté par une énergie sans borne et vraiment sans aucune limite. Chaque jour, on se rend à au moins deux blocos dès 11h du matin (on a bien essayé de se lever plus tôt mais l’échec a été cuisant), dans divers quartiers de Rio : Copacabana, Ipamema, Leblon, Santa Teresa ou Flamengo, aux styles de musiques différents : funk, Beatles, samba, de la batucada ou batterie endiablée, et aux noms parfois évocateurs: « Aconteceu » (c’est arrivé !) ou « Empurra que pega » (Bouscule pour choper). On mange peu et on boit beaucoup. On croise un soir notre copine Camille qui s’écroule presque car « elle a oublié de manger » pendant la journée.
En revanche, impossible d’oublier de boire, puisque après négociation 3 canettes de bières Antartica coûtent 10 reais (« 3 por 10 ? Fechou ! »), soit 1 euro la bière environ. On boit nos bières gelées d’abord pour se désaltérer, mais à ce prix dérisoire et à cause de l’offre débordante, on est en permance en train de consommer sans soif : « Je n’ai même pas le temps de finir ma bière qu’on m’en met une fraîche dans la main », admet Antoine dépité dans une brève lueur de lucidité, avant de retomber irrémédiablement dans les vapeurs de l’ivresse.
Et dans les faits le groupe évolue dans un état d’ébriété semi-permanent, où la seule façon de s’extirper de la sensation léthargico-ivre résiduelle de la veille est de se diriger d’un pas titubant vers le frigo et d’ouvrir une nouvelle bière – guérir le mal par le mal. Pour achever ce portrait glorieux de notre groupe imbibé mais bon enfant, citons Ninon s’adressant à Olivier un matin avant d’aller petit déjeuner (dans l’objectif de se nourrir convenablement au moins une fois par jour) : « Olive, t’es tellement bourré que quand je te vois, je suis mal. »
Rétablissons tout de même un semblant de moralité en rappelant que nous gardons l’alcool responsable car lorsque Bia montre des signes de fatigue, on la met en sécurité sur un trottoir isolé, ce réflexe vital étant par la suite auto-qualifié par Olivier de « comportement exemplaire. »
Seulement l’ivresse est un dommage collatéral, car l’objectif recherché c’est la fête, la vie, les rencontres !
P, Penalty
Les déguisements ou « fantasias » sont un immense sujet de rigolade, et tous les efforts ont été couronnés de succès. Le premier jour, nous prenons par la main 5 gros bébés, tous revêtus de couches, portant hochets, têtines, bavoires et surtout biberons de bière. On est partagés entre le dégoût à les voir patauger dans leurs protections périodiques du 3ème âge énormes et l’attendrissement quand ils pleurent pour qu’on leur paye des bières – un déguisement complètement immoral. A leurs côtés, virevoltent des anges, des démons et des princesses.
Le deuxième jour, les mecs revêtent les attirails complets d’arbitres (jusqu’au boucles d’oreille réglementaires), et on passe une journée complètement dingue. Antoine, Olive, Glenn, Ugo ou Quentin sifflent et mettent d’abord un carton jaune à un groupe, pour un prétexte aburde (verre vide, absence de t-shirt…). Généralement la victime se révolte, ce qui provoque la sanction d’un carton rouge. Là, au summum de l’énervement, le joueur pénalisé crie au scandale, jusqu’à ce que, magnanimes, les arbitres lui concèdent un penalty en dessinant une ligne de mousse devant ses pieds et comptent les pas pour délimiter l’espace de sécurité. Le joueur peut tirer un coup franc de canette de bière après le coup de sifflet, suite auquel il est unanimement déclaré champion « É campião ! » et célébré sous les applaudissements. La foule est en transe, après ce condensé d’émotions sportives. Ce qui nous laisse sans voix c’est le respect absolu des règles par les participants. Quand notre arbitre met un carton, les protestations sont déchirantes, les insultes volent, mais aucun joueur ne dépasse la ligne de mousse. Ils semblent oublier, pour le coup, que ces arbitres sont en carton et qu’on joue tous ensemble dans la cour de récréation immense qu’est le Carnaval. Ce jour-là, une bonne cinquantaine de personnes reçoivent des cartons, dont des racailles, des jolies filles, des couples et des (vrais) policiers.
Le lendemain, c’est la jounée des Super-héros, et on est accompagné de Glenn CatMan, Olive Super Skol, Antoine Super Brahma (des bières locales) et Ugo Super Orgânico (Super Bio). Bia a été chien et sushi, Juju et Vivi ont été des lapins coquins, moi je suis restée une digne princesse, même si j’ai aspergé tous mes sujets avec mon pistolet à eau volé à Super Bio.
Les Super-héros remplissent la ville de leurs exploits, ils effectuent une course et montent aux poteaux de signalisation, grimpent sur les voitures, se blessent (et développent à cette occasion le concept de « blessure de Carnaval ») mais continuent de festoyer de plus belle. C’est la fête et la joie qui les animent, et la foule est ravie par le spectacle et les foudroie de flashs, alors nos antihéros font voler leurs capes en courant dans tous les sens tout en rigolant comme des damnés.
Enfin le dernier jour, nous revêtons nos toges et la grâce de la Rome Antique fait son entrée dans les rues sales de Rio. Vivi sera notre gladiateur, Antoine notre César, Krish accepte d’être notre esclave (bon esprit), moi je suis une grâcieuse Romaine avec Marine, Bia, Juju et Olive, une couronne de lauriers ceint mon front.
P = Paquito aussi
On s’amuse vraiment énormément, on fait plein de bêtises. Les garçons lancent plusieurs paquitos, organisent des courses et on parle à nos voisins égayés. Rapidement des couples éphémères se forment et se défont, c’est la magie de la séduction de Carnaval, aussi simple que le triptyque 1. Echange de regards et éveil de l’intérêt. 2. Question : « Tu as un copain / une copine? » 3. Réponse négative et chope. (Parfois si la réponse est positive il existe un ajout: « Il/elle est là? » ou « Il/elle est jaloux?)
La chope en 5 secondes, emballé, c’est pesé, embrassé, c’est plié.
Ugo a sa propre théorie du célibat: « En réalité, plus longtemps tu es célibataire, et plus tu séduis, après ça va vite car tu deviens performant. » Et de conclure son analyse par un hommage à Quentin qui a été l’élu de ces dames: « Lui, il a été touché par la Grâce de la Chope, ça t’arrive périodiquement. » Ca doit être ça.
Les rencontres se succèdent et à la fin de la journée on a le regard vague, le sourire flou et les pieds tout sales d’avoir cavalé, sautillé, et dansé.
S, Sambodrome
On a l’immense chance d’être contactés car il reste des surplus de 4 costumes de Carnaval dans une des écoles carioca qu’est Paraiso de Tuiuti, dont le thème est une réinterprétation de délires tropicaux (c’est moi Tati les bons tuyaux). C’est un cocktail d’émotions car on se perd avec Ugo dans le labyrinthe de costumes et de petites rues imbriquées qui mènent à l’immense et majestueux Sambodrome de Rio, chargés des costumes lourds. C’est le chaos et la désorganisation qui règnent (notre école est celle dont un des chars a un accident malheureux), on perd un costume et on en retrouve deux, mais au final, quand nous sommes habillés de plumes et de couleurs, de couches volumineuses de tulles et de tissus chatoyants, quand la musique retentit, qu’on pénètre dans l’allée illuminée et que des milliers de spectateurs encouragent les danseurs que nous sommes, la magie, l’émotion, la joie, la vie, la puissance de la samba entrent et résonnent en nous.
Je voudrais terminer en tendant mon micro imaginaire à Krish et Olivier pour conclure cet article sur la folie de Carnaval. Si Krish estimait dans le feu de l’action que « Ce Carnaval, on s’en souviendra dans 10 ans ! », Olivier a été moins lyrique quand je lui ai demandé ce que Carnaval avait eu de mémorable pour lui cette année. «Déjà que je ne me souviens pas de mes journées, comment veux-tu que je me me rappelle de ce qu’ont fait les gens ? » Ne t’inquiète pas Olive, je suis là pour ça ! ;)
Énorme!!! J’ai bien ris!!!
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