La samba de l’école Vaivai – en 3 mots

Janvier est arrivé, et la chaleur nous accable déjà, nous laissant moites et nonchalants sous les vapeurs de l’été tropical. En même temps que l’été, Carnaval s’annonce avec son lots de blocos (rassemblements de rue autour de chanteurs et danseurs de samba), de bières gelées (et non pas seulement fraîches), d’énergie et de sensualité débordantes.

Dimanche soir, une brassée de copains et moi nous sommes laissés emporter par l’énergie  du Carnaval et de la samba en nous rendant à une répétiton de l’école de samba Vaivai, avec laquelle nous avions défilé l’an dernier quand le thème était la France, souvenez-vous. Venez avec moi (re)découvrir les entraînements de samba !

V comme Vaivai

Vaivai est l’une des écoles de samba les plus puissantes de São Paulo, en compétition étroite avec d’autres écoles comme Império da Casa Verde, Mocidade Alegre ou Unidos de Vila Maria… Les locaux de l’école sont placés dans le quartier populaire de Bela Vista et le quartier voisin Bixiga, situés non loin de l’artère centrale de la Paulista. Plus qu’une école, Vaivai  s’est établie et occupe le quartier : l’école est soutenue par les habitants qui envoient défiler, danser et jouer des percussions leurs fils, leurs filles, des générations de danseurs et de musiciens. Les commerces à proximité profitent de l’afflux de spectateurs, et des vendeurs de rue portent leurs étals devant les grilles qui ferment les quelques rues où défileront les rangs serrés des danseurs. Ils vendent du maïs chaud beurré, des brochettes de viandes variées, des bières, des canettes de sodas ensevelies sous de la glace dans des bacs géants. Les murs dans les rues portent les inscriptions de soutien à l’école, les symboles et les initiales noires et dorées sur fond blanc. On dit que le financement de cette institution énorme, qui réunit deux fois par semaine, les jeudis et dimanches soirs, parfois presque deux miliers de personnes, ceux qui assistent au défilé ou y participent, ceux qui vendent, ceux qui aident, ceux qui font des transactions obscures, ceux qui parlent et négocient, on dit que le financement de ce réseau énorme est lié aux gangs et aux mafias qui tirent les fils depuis les prisons de São Paulo et Rio de Janeiro. Et en effet, les sommes qui passent entre les mains des Directeurs et petites frappes des écoles de sambas sont astronomiques : billets des entrées à l’école, produits derivés, boissons et nourritures, prix colossaux des costumes (à partir de 800 reais, soit 230 euros) qui rémunèrent des couturières, des stylistes, des acheteurs, des peintres pour dessiner et monter des chars, et des bénévoles pour animer les « alas » les organisations qui regroupent les danseurs par 100, avec des Chefs d’Ala, des assistants, des chorégraphes, des musiciens bien sûr, et des chanteurs dont la star charismatique Arlindo Cruz qui chante avec son fils.

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Vaivai c’est donc bien plus qu’une école de samba, c’est une organisation, c’est une foule, c’est un rassemblement à la hierarchie solidement implantée mais camouflée sous la désorganisation foisonnante et la créativé foudroyante des musiques rythmées et des danseurs félins de sensualité. Au dessus de la tribune qui accueille les chanteurs, aux pieds desquels les percussions se déchainent, la devise de Vaivai est illuminée « Meu povo, minha gente, minha raça, minha escola » : Mon peuple, les miens, ma race, mon école.

C comme Créativité et Candomblé

Le défilé de Carnaval est un affontement entre plusieurs écoles de samba, il a lieu par ville et est extrêmement réglementé. Les écoles choisissent un thème, et écrivent une chanson-hymne, créent des costumes, des décors et des chars, elles mettent au point une chorégraphie qui implique des centaines de personnes.  Je vous conseille si vous êtes curieux l’article « Le carnaval des écoles de samba au Brésil » qui propose une analyse intéressante de ce phénomène artistique et culturel, à travers une approche sociologique, de ce terrain de confrontation et de rapprochement identitaire.  https://bresils.revues.org/1789

Après le thème original qu’était la France l’an dernier, même si c’était une France rendue brésilienne avec ses costumes colorés, bigarrés qui débordaient de créativité et d’expressions peu ordinaires (Champagne, Avion, Parfum, Football, Corsaires..), l’école paulista Vaivai a choisi de revenir aux origines, et de rendre hommage à la culture foisonnante bahianaise, berceau du Brésil et de la samba.

costumeCette année, le thème à l’honneur est le Camdoblé, la religion ésotérique des esclaves du Brésil  issus de la Traite des Noirs, culte qui prend ses racines dans les traditions orales et croyances lointaines venant d’Afrique, mélange subtil avec des traces du catholicisme et des rites indigènes. C’est une religion qui a marqué la culture de Salvador de Bahia et qui a impregné tout le pays,  à travers la musique et la danse, le discours, l’art et la culture. Le Camdomblé est un culte des Orixás, les divinités associées aux éléments naturels, et les célébrations, les rituels et les offrandes honorent également la divinité créatrice Olorum. Le livre Corcovado de Jean-Paul Delfino, m’a apporté le peu de connaissance que j’ai de cette religion fondatrice si profondément ancrée dans le territoire brésilien (merci aussi à la page Wikipedia qui a un peu ordonné mon résumé). Corcovado, qui narre les aventures d’un Français qui s’installe, conquiert et comprend le Brésil, montre comment s’entremêlent les trois racines du pays, à travers la triple identité de Rio de Janeiro : Rio la blanche, Rio la noire et Rio l’indienne. C’est un roman magnifique qui célèbre la vie et l’énergie vitale du Brésil, et que je vous recommande absolument.

Bref, l’hymne de Vaivai porte haut et fier la culture bahianaise et rend hommage, dans le sambodrome, à la plus belle des divinités, la mère de Bahia, Ialorixá du Brésil. On y chante l’amour et le respect pour Olorum, l’être supérieur qui a créé les autres divinités et les hommes, on le remercie pour la beauté de l’arc-en-ciel qu’il a dessiné, on lui demande de bénir le défilé de Vaivai et d’ouvrir ses bras pour nous y recevoir car il est notre père, on y raconte l’Orixá Oxum, la reine des eaux douces, maîtresses des fleuves et des cascades, qui représente la sensualité, le pouvoir et la sagesse des femmes. On rend hommage aux Ilês, les maisons du Camdomblé, on loue les arbres sacrés, l’énergie, la force des dieux et des êtres. On utilise des mots mélodieux, vieux et inusités d’un dialecte oublié et dont pourtant des anciens se souviennent encore, qu’on reprend sans les comprendre, mais on les retient car ils sont doux et chauds sous la langue : « Iaô,ô Iaô », « Xangô, Kaô Kabecilê. Eparrei, Oyá, Obá Xirê, Obá », et surtout ils transcrivent l’histoire mouvementée, précaire et difficile des noirs et métisses du Brésil. Ils racontent, ils narrent, ils restituent, ils transmettent le Brésil.

Pour ceux qui veulent écouter la chanson, et s’imprégner du rythme entraînant et des paroles mélodieuses : https://www.youtube.com/watch?v=I2myaZRA0Og

E comme Energie

img_4016A travers la samba, c’est toute l’énergie du Brésil qui explose et se déchaine. Les différents groupes défilent serrés, encadrés par les chefs d’Ala et les assistants, aux t-shirt dorés, et tous ils ont pour consigne de chanter en hurlant les paroles de l’hymne. Ils reproduisent les mouvements de chorégraphie, et surtout ils sambent, les femmes perchées sur des talons sautillent et se déplacent avec grâce et rapidité, elles tendent les bras vers le ciel et le long de leurs poignets leurs bracelets dorés scintillent, elles chantent et prennent à partie les spectateurs captifs. Les hommes sautent agilement et se déplacent avec adresse, souples et allègres. Nous aussi chantons, hurlons et dansons, l’énergie des danseurs nous enveloppe et nous ceint, on transpire à suivre le défilé en piétinant, on se rafraîchit à longues gorgées de bière, on vibre avec les batteries qui résonnent. On est pris dans la sensualité vorace, à la pause les hommes lancent des regards incandescents aux femmes, Ugo et Glenn tombent amoureux de  danseuses 3 fois chacun, car la samba célèbre l’énergie et l’instinct de la vie.

C’est un public différent qui se mélange, des noirs, des métisses et des blancs, des Brésiliens, des paulistas et des touristes gringos. On perd Glenn parmi les corps noirs musclés, alors que d’habitude on le repère plus facilement. On se perd et on se retrouve, et puis épuisés on sort de la foule compacte, étourdis par le vacarme et les couleurs.

Longtemps après notre départ et avec puissance dans la nuit, l’énergie et le rythme de la samba continuent de battre à tout rompre.

 

 

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