J’ai pensé un moment écrire sur les chocs culturels, ou les surprises et étonnements, mais finalement je me suis décidée à parler des leçons, de ce que professionnellement le Brésil m’a appris et de comment il m’a changée.
- Etre positif et serein
Une Responsable Catégorie m’a un jour donné la meilleur leçon d’optimisme, alors qu’on faisait un point de situation particulièrement traumatisant. Tandis que je prenais de ses nouvelles, elle m’a répondu que tout allait très bien, alors que de facto non, rien ne ne passait comme prévu. « Les différences de prix ont-elles été corrigées ? Pas du tout! Le nouvel assortiment est-il arrivé ? Pas encore ! Le problème informatique a-t’il été résolu ? Pas à ma connaissance ! Au moins, y a-t‘il une prévision de date ? Aucune. », chacune des réponses étant assénée tranquillement avec un sourire calme malgré mon angoisse grandissante de ne voir aucun point conclu. Pour expliquer la sérénité de Crys la Responsable de Catégorie, le Brésil apporte deux reponses dont j’aime me souvenir : « Todo ano tem Carnaval, todo ano tem verão ! », tous les ans et quoi qu’il arrive, l’été et le Carnaval reviennent, en clair rien ne sert d’être stressé ou angoissé, car les problèmes vont et viennent comme les saisons, et il vaut mieux rester optimiste et confiant, car c’est de cette façon qu’on trouve des solutions.
On m’a aussi dit que « Nada é tão ruim que não possa piorar », il n’y a rien qui ne puisse empirer. Je comprends cette maxime comme une invitation à se satisfaire de la situation du mieux possible, une tentative de relativiser et trouver le positif dans ce qu’on ne peut changer immédiatement, dans l’incertitude dans laquelle on se trouve. Cette attitude qui frise la passitivité parfois, est celle d’une fatalité sereine et optimiste. C’est le Brésil dont la devise, bien plus qu’Ordre et Progrès, devrait être « Vai dar tudo certo », « tout va bien se passer ».
- Remercier et féliciter
Difficile de commencer une réunion brésilienne sans remercier les participants d’être présents (pas nécessairement à l’heure), et d’avoir décidé de vous consacrer du temps. Bien plus, le mot le plus recherché et le plus attribué est sans aucun doute « Parabéns » : félicitations, bravo, et ce quel que soit l’effort ou le résultat d’une action. Cette quête des félicitations et la joie rayonnante qui en découle sont tout à fait fascinantes et attendrissantes.
Illustration basée sur des faits réels : A la fin d’une réunion de plusieurs Managers, l’un d’entre eux prend la parole car il tient à mettre en avant l’heureuse initative d’un des membres de son équipe. D’un air pénétré et inspiré, le Manager disserte 5 minutes sur le travail constructif et utile de son employé modèle qui a pris l’initiative…. d’assembler des feuilles usagées pour en faire des blocs de papier brouillon pour toute l’équipe. Félicitations et salve d’applaudissements pour l’épanoui travailleur. Un monde doux et bienveillant vous dis-je, où l’individu doit être encouragé, remercié et valorisé.
- Parler et communiquer
Ce pays est celui du discours, de la parole vive et libérée. J’ai entendu en 2 ans une quantité exubérante de discours motivationnels, d’appel au travail et à l’action, d’auto-bénédiction « Que Deus nos abençoe e traga boas vendas para nós » – Que Dieu nous bénisse et nous apporte de bonnes ventes ! (true story) Les Brésiliens sont très doués pour faire des discours spontanés, adaptés à chacune des circonstances, mais surtout ils aiment se réunir pour parler, pour aligner des attentes, pour définir un projet. Tout passe par la parole directe, rarement par les mails. Par exemple, si on veut être sûr qu’une information a été comprise, il faut mieux appeler la personne et relire le mail informatif au téléphone ensemble, ou bien aller à sa rencontre et formaliser ce qui a été dit par écrit ensuite. Se rencontrer, parler, échanger. Le triptyque gagnant étant peut être d’appeler pour prévenir qu’on va venir échanger avec quelqu’un, puis ensuite de formaliser la discussion par mail. Il faut bien prendre son temps et avancer posément, car sinon les choses ne se font pas, ou du moins pas comme on l’avait prévu.
- Biaiser, ne jamais attaquer frontalement
Je me rappelle d’un discours motivationnel d’un Directeur qui apostrophait les « bons et les moins bons gérants » et citaient ceux qui « étaient excellents » et « ceux qui avaient encore beaucoup d’opportunités de progresser», cher pays de la périphrase et du discours positif, jamais agressif pour un sou.
Une leçon inspirante m’a aussi été donnée par une collègue qui devait vérifier que des magasins avaient compris l’application d’un concept. L’un d’entre eux était passé complètement à côté du sujet, et avait tout fait de travers. Pour ne pas le braquer, ma collègue l’a d’abord longuement remercié pour son investissement, avant de lui poser toutes sortes de questions pour juste « aligner quelques points » et lui demander tout en douceur comment il avait procédé. Le gérant du magasin a compris de lui-même qu’il s’était trompé, et a proposé spontanément de recommencer le travail.
Aujourd’hui je cherche dans la mesure du possible à éviter le conflit direct, à tourner autour de pot avant d’attaquer de biais, et je présente un refus le plus positivement possible.
- Prendre soin de son équipe, se préoccuper de ses interlocuteurs
Pour commencer, il serait impensable de demander un service ou un renseignement sans se préoccuper réellement du bien-être de son interlocuteur. Je n’imagine pas appeler un lundi un collègue sans lui demander comment s’est passé son week-end et une fois ma chef, qui était pressée, a passé 5 bonnes minutes à questionner une femme sur le retour de son congé maternité, réclamant et s’extasiant devant les photos du bébé, avant de courir pour compenser le retard accumulé. Il s’agit bien plus que d’une formule de politesse ou du « ça va ? » rhétorique et superficiel, il est question du soin de l’autre, de veiller les uns sur les autres. People matter.
Aussi, je ne donne plus mon opinion sans prendre de légères précautions oratoires : « Eu entendi seu ponto » (j’ai bien compris où tu voulais en venir), « Achei muito válido» (C’est super) « Não me leve a mal” (ne le prends pas mal…), “Só para contribuir” (si je peux contribuer à la discussion), parce que je ne veux ni ne peux froisser mes interlocuteurs, je veux préserver l’entente, le soin de l’autre, même si évidemment je n’en pense pas moins. C’est la question de l’harmonie des rapports sociaux, qui est primordial ici.
- Expliquer et persuader
On entend souvent que le Brésilien ne travaille pas pour quelqu’un, mais parce qu’il aime quelqu’un, pas parce qu’il le doit, mais parce qu’il le veut. Il y a bien sûr la question des rapports hiérarchiques, mais un Brésilien non convaincu n’exécutera jamais vraiment bien la tâche qu’on sollicite de lui. Il faut réussir à persuader les gens de travailler avec et pour vous.
La méthode que j’ai adoptée est d’être extrêmement pédagogue avec mon interlocuteur quand je lui explique le projet : je lui présente le problème clairement, en faisant appel à son expérience, je lui explique le contexte du projet en insistant largement sur sur la contribution essentielle qu’il apporte, bref je lui raconte une histoire dont je le rends protagoniste afin d’obtenir son engagement.
Aussi, je fais appel à l’affection qu’on a pour moi, aux liens que je tisse progressivement pour obtenir la collaboration. J’ai déjà obtenu une aide très efficace et rapide d’un collègue-voisin auquel je donne souvent des petits gâteaux. Ce n’est ni de la manipulation ni de l’hypocrisie, c’est du management affectif en quelque sorte !
- Trouver une solution informelle
Le Brésil m’a souvent impressionnée par sa créativité, par sa façon décomplexée de déjouer les contraintes. C’est le « jeitinho brasileiro » qu’on connaît, la méthode qu’ont les Brésiliens de détourner les façons conventionnelles de traiter les démarches. On peut à peu près tout obtenir en négociant, en insistant, en contournant la règle. Tu ne peux pas me rendre ce dossier pour la semaine prochaine ? Et si tu simplifiais le contenu ou que tu me montrais un avant-goût quelques jours avant ? Et si on divisait les tâches en d’autres sous-projets ou qu’on demandait un coup de main à une autre équipe ?
Aujourd’hui je me suis habituée à cette façon de personnaliser le refus, à proposer un substitut, une route intermédiaire. On peut toujours en demander plus : « Si ce n’est pas possible, que peux-tu faire pour moi ? », « Qu’est ce que tu proposes ? », « On peut s’arranger ? » . C’est la gestion flexible et informelle de projets, plus créative que rigoureuse, plus souple, plus aisée, plus brésilienne.
J’aurais encore pu citer mille choses que le Brésil m’a montré : comment grignoter toute la journée et trouver mille occasions d’organiser des festins en équipe : le goûter en groupe, les réunions petit déjeuner prolongé, tous les anniversaires et les célébrations de naissance, de mariage de chacun des membres de l’équipe, comment organiser des réunions pour le plaisir de se réunir et parler de tout sauf du sujet de la réunion, se serrer les coudes en équipe en faisant des choses qui n’ont rien à voir avec ce pour quoi on est là…
Une chose est sûre: je repartirai du Brésil riche de toutes ces connaissances pratiques et de ces expériences profondément humaines!
Je suis 100% alignée! Au final ça aura été une bonne école de la vie
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Et pour bientôt un article sur la façon de travailler à Bordeaux ?
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