4 juillet 2016.
Mes très chers amis,
Cela fait un certain temps que je n’ai pas écrit, mais j’ai l’impression parfois que le temps s’écoule plus lentement, comme si le sablier avait butté contre un tas un peu plus difficile à avaler. En 1 mois et demi, j’ai eu le temps de faire un sublime voyage le temps d’un week-end prolongé, de me désenchanter de mon travail en perdant mon N+ 1 et mon N-1, comme une montagne russe professionnelle, et j’ai passé de bons week-ends à Sao à faire du sport et cuisiner !
Au travail, peu après vous avoir envoyé la newsletter où je me réjouissais de nouvelles perspectives, le destin a fait preuve d’un humour décapant. Je commençais à apprécier mon analyste F., son âpre sens de la négociation avec les fournisseurs, ses remarques souvent justes, ses observations habiles. On s’habituait à fonctionner comme une équipe, réduite mais complémentaire, et j’arrivais même à organiser des feed-backs sur ses rendus, quand un mois à peine après son arrivée il s’est absenté avec régularité : tantôt un problème lié à son appartement, tantôt un rendez-vous médical, puis une urgence dentaire… J’ai le sens de l’investigation policière et la déduction entraînée : mon analyste était en train de se faire la malle, mais comment l’en blâmer vu le contexte de l’entreprise… Je vous épargne les blagues irrésistibles de mon beau-père sur comment je n’ai même pas réussi à garder un employé plus d’un mois, d’autant plus qu’à cause d’une erreur de système a surgi le risque de voir son dernier salaire lui être retiré, ce qui fait que F. nous a légitimement proposé de régler le différend aux Prud’Hommes si on ne parvenait pas à un accord… Dans le même temps d’allégresse professionnelle, mon chef chéri Fr. a été promu Directeur des Opérations. Donc l’homme même pour lequel j’avais bataillé, un modèle, un leader, un mentor à respecter et pour lequel m’investir s’est retiré de ma structure. Je me suis retrouvée comme un premier étage sans rez-de- chaussée et sans toiture, sans niveau inférieur ni supérieur : simplement à la rue. Au bout de quelques jours, j’ai été catapultée sous une nouvelle chef, F. que j’apprécie par ailleurs, ce qui porte donc le total à 7 chefs en 15 mois de VIE…
On a finalement résolu le problème de F. à l’amiable et F., que je connaissais pour avoir déjà travaillé avec elle, m’a intégrée dans son équipe et m’envoie des signaux amicaux pour que l’on collabore en bonne et efficace entente.
Je songe sérieusement à optimiser mon temps au Brésil, je vais profiter de la venue de ma mère dans deux semaines pour me poser et réfléchir à ce qui me fait vraiment envie, évaluer ce à quoi j’ai envie de me consacrer. Il existe peut-être des formations à distance pour continuer à apprendre ou se spécialiser, peut-être trouver une échappatoire à mes journées peu occupées. Je vous en dirais plus si la direction se précise, mais je peux vous donner quelques pistes.
Ma vie au Brésil m’a donné l’occasion de vous envoyer des newsletters de temps en temps et vos retours tendres et parfois enthousiastes m’ont fait plaisir. L’écriture n’est pas une déclaration, souvent pour moi c’est une question. C’est bien sûr un regard introspectif, une contemplation de mes émotions, un état des lieux à un instant précis. Mais il y a aussi l’aspect du retour, du reflet du message que j’envoie. J’ai envie de lancer des mots et de les voir ricocher et revenir à travers des avis, des critiques, des opinions. Donc j’ai commencé à penser à la possibilité de créer un blog pour écrire des nouvelles et vous les donner à lire, et peut-être trouver un ton entre le personnel et l’informatif, entre les réflexions et les ouvertures sur moi, une thématique qui créerait un lien entre nous.
Cela fait longtemps que je réfléchis par exemple à ce qui me pousse à aimer le Brésil, à affronter la lenteur, la langueur, le rythme dolent pour se réfugier au calme et à l’abris, puis à chaque coin de rue soudainement être confrontée à l’énergie vitale, aux rugissements urbains, à l’explosion de couleurs et d’expressions presque fauves et violentes. Le Brésil est un tissu serré de contradictions : de douceur, de tendresse presque entre les êtres, j’observe comme une culture du soin de l’autre, mais en même temps il existe une âpreté dans les relations, un côté louche à ne s’en tenir qu’aux couches superficielles. Le Brésil me fascine et m’exaspère, m’échauffe et me déçoit, puis il me fait sourire de nouveau. J’aimerais vous en dire plus, trouver l’espace de vous raconter les rapports au travail, la relation à l’autre, les gestes, les repas, les regards, les conversations, à quelle point je suis reconnaissante au Brésil de m’avoir paradoxalement montré comme j’aimais la France… Je me lance bientôt et vous tiendrai au courant, si vous le voulez bien !
Début juin, nous avons profité d’un week-end prolongé pour partir avec mes amis chers Glenn et Ugo (Glenni et Ogi) et trois autres collègues français dans l’endroit que j’apprécie le plus au Brésil pour y être allée avec Tif et Clem il y a 3 ans, et avoir vécu l’un des voyages les plus réjouissants jusqu’à présent : Chapada Diamantina, dans l’état de Bahia. C’est une chaîne de vieilles montagnes, à 7 heures de bus de Salvador, qui a recelé pendant des années des diamants, d’où son nom, et dont les paysages extraordinaires et verdoyants ont subsisté à l’exploitation minière et sont restés sauvages. Nous avons marché trois jours entiers, avons monté des pics arpentés et descendus des pentes acrobatiques, nous avons parcouru 52 km en 3 jours en observant la vallée verte et rocheuse, en portant nos sacs chargés sur nos dos fatiguées. On dormait dans des petites maisons au pied de la vallée et Némo notre génial guide français, sympathique et gastronome, nous cuisinait des repas revigorants aux pauses fréquentes. C’est un voyage que je vous conseille à tous. Quel plaisir de marcher sous le soleil parfois trop fort en pensant qu’après chaque pas laborieux attend un point de vue exceptionnel ! Némo nous a montré des piscines naturelles pour délasser nos pieds, il nous a dévoilé des cascades cachées que nous avons longées en nous tenant à des hautes branches ou en sautant de pierre en pierre, parfois en étant attentifs pour ne pas glisser sur les feuilles mortes mêlées à la terre humide et aux racines.
J’ai souffert pendant ce périple car tous mes coéquipiers avaient un meilleur niveau physique que moi et avançaient sans peine dans les montées éprouvantes ou les plats sous le soleil ardent, tandis que je voulais ralentir, boire, prendre mon temps parce qu’on empruntait des chemins difficiles. Quand c’était trop dur, que je suais et chauffais, Glenn m’a pris par la main, Laurence m’a attendue, Némo m’a porté mon sac à dos lors d’une montée et Ugo m’a parfois poussée par le sac à dos pour avancer plus vite, dans sa forme de grand sportif !
A l’arrivée, le calme se fait et on admire les châteaux rocheux qui nous entourent dont la couleur change à mesure que le soleil se couche, la pierre se fait plus rosée et plus dorée, chaude comme elle s’imprègne de la lumière du jour fuyant. On contemple les forêts et les étendues vertes coulées entre les pierres dans l’altitude, c’est la vallée du Pati qui s’étend à perte de vue.
On marche et on marche encore, je n’ai même pas le temps de réfléchir ou penser à mes proches parce que je veux juste économiser de l’énergie pour avancer, c’est un dépassement constant de poursuivre sur les plateaux et les montées dans les escaliers rocheux, sous le soleil et entre les fougères, les arbustes qui nous griffent et les plantes et fleurs variées dont l’une qu’on appelle Immortelle, car même coupée elle s’ouvre et se ferme à la lumière pendant des années.
Le deuxième jour on parvient au point de vue du Cachoerao (la grande cascade), qui m’avait tant impressionnée lors de ma dernière venue. La falaise surplombe un immense canyon vert, où se précipite la végétation dense jusqu’à la terre marron-rouge en contrebas. Difficile de ne pas avoir le vertige devant cet exploit naturel, et entre les pierres surgissent ce qu’on perçoit comme de minces filets d’eau, en réalité ce sont de vigoureuses cascades. La nature exprime sa puissance, son éclat majestueux dans la symphonie de couleurs vives, et penser que les paysages immobiles et immuables ont survécu aux passages des hommes et qu’ils sont les témoins de générations de marcheurs nous fait sentir petits et insignifiants. La nuit, après des dîners égayés par les caipirinhas (il faut boire plus pour écouler les citrons et la cachaça et avoir moins de poids à porter pendant la marche !) nous dormons d’un sommeil de justes sous nos chaudes couvertures !
Le dernier jour nous traversons quelques passages techniques puis avançons sur de hauts plateaux, pour passer d’une vallée et à une autre et arriver au terme du périple à Capao. La pierre est tantôt grise, tantôt d’une teinte jaune, le sol argileux fait parfois place au sable ou à la terre quand nous n’enjambons pas de larges pierres, et parfois se forment au sol comme les écailles d’une peau de serpent ou de poisson, les plis de l’épiderme d’un éléphant ou des cratères qu’on dirait lunaires. Une dernière photo pour capturer l’instant magique de la lumière qui décline sur la coupe rocheuse qu’est la vallée et nous retournons à la civilisation.
Depuis, je continue d’être entourée de mes amis et je sors chaque week-end et parfois même en semaine. J’intensifie les activités sportives pour perdre la couche calorique liée à l’hiver d’ici et je cuisine les légumes que je vais acheter au marché bio chaque samedi matin. C’est une joie de choisir les haricots, les ignames, les mange-tout, les navets, les carottes, la salade croquante, les bananes mûres et les tomates vertes que je prendrai plaisir à cuisiner pour mes copains, en salade ou en fondue de légumes de saison, en dégustant du vin d’Argentine ou du Chili. Dans ma famille, on transmet la tendresse par la cuisine, on se dit qu’on est contents d’être ensemble assis à table en buvant et en discutant avec animation. J’ai l’impression de perpétuer une tradition quand je fais revenir des oignons ou quand je mets une belle table. Rassembler des copains autour d’une bonne table et savoir qu’on va discuter en faisant ripaille me réjouit et resserre le lien avec les femmes fortes de ma famille, les deux excellentes cuisinières qui m’ont formée et auxquelles je pense souvent.
En attendant de vous préparer un dîner à l’avenir ; je pense à vous tous et vous embrasse !
J’ai hâte de lire de vos nouvelles !
Love, Tati