Les voix des objets

Les objets que l’on chérit ont-ils des oreilles, et acceptent-ils volontiers de recueillir les secrets qu’on leur confie ? Par quel magique pouvoir reçoivent-ils dans leur habitacle l’espace immense de de nos souvenirs et de nos émotions ?

Quelques mois après sa mort, j’ai posé sur ma poitrine le pendentif que ma grand-mère avait porté toute sa vie, et j’ai eu l’impression que son contact avait comme brûlé ma peau, en y imprimant la marque indélébile de sa mémoire.

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Un matin, en sortant de la douche, j’ai cherché comme d’habitude à caresser l’ovale doré que je portais au cou, mais il avait glissé. C’est comme si la douleur de sa perte s’était ravivée avec brutalité, car j’avais perdu le talisman qui me protégeait de la peur, de l’absence et de l’oubli. J’ai fouillé avec avidité, emplie de détresse, puis j’ai retrouvé mon souffle. J’avais retrouvé mon pendentif, et j’ai poursuivi l’illusion sereine, serrant contre moi le petit mausolée aux contours infinis.

Car j’ai voyagé de terre en ville, de pays en continent, et lorsque je suis revenue à l’appartement de mon enfance, il avait perdu son odeur. Les meubles, je ne les connaissais plus, les objets étaient rangés, les feuilles éparses je les avais regroupées dans un dossier, et tout était classé au fond d’un tiroir, qui était maintenant clos. Ce n’était plus la maison de mon enfance, et l’âme de mon ancien chez moi s’était envolée par la fenêtre ouverte.

Capture d_écran 2018-05-28 à 00.07.33Les objets que l’on garde avec soi dessinent pour certains les cailloux blancs qu’on sème pour se rappeler du droit chemin. Quand les vents sont violents, ils nous ancrent en nous-mêmes, et ils nous lient aux souvenirs lorsque les flots sont incertains. C’est l’alliance sans laquelle on se sent nu, la photo dans le portefeuille qu’on consulte en sa mémoire sans même la regarder, car on est rassuré de savoir qu’elle est là. L’ancien téléphone qui garde la mémoire des histoires et des instants, comme un vieux témoin malhabile. Une horloge arrêtée qui ne tient plus le compte des minutes qui passent. Et un tableau aux couleurs passées.

Il y a aussi ceux qui s’entourent d’objets avec frénésie, pour combler de collections le vide, et l’angoisse peut-être. Ceux qui accumulent et ne savent pas jeter, faisant de leur demeure une bibliothèque de poussière. Et d’autres qui se détachent, et se défont des objets pour mieux percevoir la densité de l’espace.

Pourtant nos objets supportent la mémoire, ils sont les gardiens physiques du temps écoulé qu’on a enfoui en eux, et comme il est bon de tenir un instant dans sa main, ces temples de mélancolie passagère.

 

 

Photos: courtoise de la talentueuse Daphné Aboulker (tous droits réservés): www.daphneaboulker.com

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